Diagnostic sur la lutte contre les discriminations dans le champ de la culture Par Suzana Dukic

Impulsé par la DRJSCS Midi-Pyrénées en 2013-2014, ce diagnostic, s’est inscrit dans une réflexion plus large sur l’accès à la culture par les institutions de la région (services de l’Etat et collectivités). Il a eu pour finalité d’objectiver les freins, éventuellement d’ordre discriminatoire, dans l’accès à la culture des habitants-e-s des quartiers prioritaires, à distinguer la discrimination d’autres mécanismes d’exclusion (les effets des inégalités sociales, du racisme ou encore l’autocensure qui conduit les pu-blics à ne pas s’autoriser l’accès aux œuvres, etc...), enfin à interroger sur la pertinence et l’efficacité des actions soutenues.

Culture et discriminations : une articulation faible
Le concept de discrimination n’est pas une catégorie ordinairement mobilisée dans le champ de la culture.
Pour les professionnels, la lutte contre les discriminations appliquée à la culture est synonyme d’inégalités sociales ou territoriales (liées à la politique tarifaire, à l’insuffisance de l’offre, au souséquipement des quartiers populaires au déficit d’implications des opérations culturels en direction des habitants de ces quartiers.) L’apparition de la lutte contre les discriminations dans le cadre du diagnostic semble pour une partie des professionnels, plaquée ou opportune, comme un pis-aller d’une politique de lutte contre les inégalités. Ces points de vue s’expliquent notamment par l’histoire de l’action publique de lutte contre les discriminations qui n’a pas articulé jusqu’à présent la question des discriminations à celle de la culture. En cela, ce diagnostic constitue une opportunité pour construire ce lien.

Du côté de l’action publique, l’ACSE a inscrit son action dans le domaine de la politique de la ville plutôt que dans celui de la lutte contre les discriminations. Ses axes d’intervention dans le domaine de la culture portent essentiellement sur le soutien aux manifestations culturelles, à la commission « images et diversité » et au soutien à l’offre et aux équipements culturels. Du point de vue du ministère de la Culture et de la Communication, la lutte contre les discriminations, inscrite sur l’agenda depuis 2003, se confond avec la lutte contre le racisme, la xénophobie, l’exclusion et la pauvreté ou encore le « vivre-ensemble ». Pour autant, si le diagnostic peine à mettre en lumière l’existence de discrimination directe dans l’accès à la culture, l’hypothèse de discrimination de nature systémique reste ouverte.

Des logiques d'altérisation et d'ethnicisation des publics
D'une façon générale, les normes d’action et les pratiques des professionnels sont référés au vocabulaire de l’action sociale, de l’intégration et de la démocratisation culturelle pensée comme un vecteur de conversion du public aux oeuvres légitimes. Dans tous les cas, le public est défini en termes de handicaps, de carences, de déficit. Cet aspect est accentué par la polysémie de la notion de culture (les professionnels parlent de « la culture » des habitants mais aussi de « l’action culturelle » qu’ils mettent en oeuvre à des destination des publics). Ces cadres référentiels engendrent un certain nombre de pratiques, qui en retour, alimentent une vision altérisée du public. Référée à l’immigration, les cadres référentiels mobilisés entraînent un processus, mis en oeuvre à différents degrés, d’ethnicisation des publics des quartiers prioritaires. L’ethnicisation tend à expliquer les comportements culturels par l’origine, expose à deux risques : le dévalorisation ou le dénigrement et le renforcement de l’inégalité d’accès. Dans tous les cas de figure, on constate une inversion de l’imputation causale, c’est-à-dire que les personnes issues des milieux populaires et/ou immigrées sont tenues responsables des dysfonctionnements soulevés (la souffrance et l’épuisement professionnels, les réticences, voire les résistances du public, l’échec des expériences de participation mises en oeuvre, etc…).

L’action culturelle : une opportunité pour construire du commun ?
La construction du « commun » est en contraste avec les cadres référentiels décrit dans la partie précédente. Cette perspective est présente chez les professionnels mais s’inscrit dans des « espaces flous »3, c’est-à-dire dans des espaces de traduction et de négociation des référentiels initiaux que se sont ménagés les acteurs enquêtés. La construction du commun passe la reconnaissance institutionnelle de l’égale dignité des cultures et des identités et donc, de fait, par la reconnaissance de l’existence des discriminations5. Cela passe par la mise en oeuvre de rapports sociaux plus égalitaires, tant dans la relation pédagogique pour un partage des codes liés à la culture définie comme légitime, que dans la participation réelle des habitants à la mise en oeuvre des projets qui leur sont destinés, et la reconnaissance des expressions artistiques issues des quartiers prioritaires. En conclusion, le diagnostic montre qu’un questionnement formulé en termes d’accès des habitants des quartiers prioritaires n’est pas à la hauteur des enjeux soulevés par la lutte contre les discriminations dans le champ de la culture. Des discriminations de type systémique interrogent la nature des actions culturelles qui sont destinés aux habitants des quartiers prioritaires, c’est-à-dire leur justification et leurs objectifs :

  • soit, l’on se situe dans une perspective liée à l’action sociale, à l’intégration, et à la démocratisation pensée comme un vecteur de conversion du public où l’universalisme est défini « par le groupe majoritaire »6, « par le haut », « par ceux qui savent ce qui est beau est bien», pour un projet de conversion des minoritaires, lequel ne fait que renforcer en réalité les barrières symboliques. Cette situation décrit le chauvinisme de l’universel, selon l’expression du sociologue Abdelmalek Sayad. La certitude d’avoir les bonnes normes (dans leur dimension symbolique) et le pouvoir de décision (dans sa dimension pratique, organiser une sortie, définir le programme, obliger les gens à participer) sont constitutifs de rapports sociaux inégalitaires entre les professionnels et les habitants, qui alimentent les discriminations de nature systémique.
  • soit on se fonde sur une perspective d’universel renouvelé : cela implique d’une part que la mise en oeuvre d’actions culturelles qui ne renforcent pas les frontières symboliques entre les groupes majoritaires et minoritaires. Cela passe également par une reconnaissance patrimoniale qui fait aujourd’hui largement défaut et la réhabilitation des expressions artistiques issus des quartiers populaires. Ainsi se dessine la perspective de la constitution d’un universel « approprié » c’est-à-dire dont tout un chacun s’est saisi.